mardi 4 mars 2008

Rodrigues : quand le Mulet transporte la tradition !

La Fête du Poisson bat son plein actuellement à Rodrigues. Jusqu’au 9 mars l’île et ses habitants vivront, plus que jamais, à l’heure de la… Mer nourricière !

Les Rodriguais sont unanimes là-dessus : le Mulet n’est pas le poisson dont ils raffolent. Mais ce poisson argenté, combatif et rusé, qui rôde en banc dans l’immense lagon rodriguais à cette période de l’année, est devenu un symbole.

Symbole d’une île Rodrigues fière de ses racines. Symbole de l’éternel recommencement du cycle de la vie. Symbole d’une île Rodrigues qui se veut différente et l’affiche avec fierté.

Lancé en 2002 par Maxi André, un de ces jeunes talentueux et ambitieux Rodriguais, la Fête du Poisson s’est naturellement institutionnalisée depuis quelques années pour devenir un des événements majeurs du calendrier. Il faut dire que cette Fête touche à ce que le Rodrigais a de plus précieux : une relation passionnelle, charnelle même avec la mer. Qui, ici, rythme la vie et berce les espoirs.

Cette année, le comité organisateur, avec à sa tête le volubile et actif Rosaire Perrine, a choisi comme point de départ du Festival, la Pêcherie de Ton Claude, à Camp Pintade. C’est là que, vendredi soir journalistes, invités et notables de l’île se sont retrouvés pour vivre la « veillée ». Autour du « Poss peser » (poste du pêcheur), une succession de petites cases brinquebalant mais attachantes, les pêcheurs et leur famille sont venus passer la dernière nuit avant la grande journée de pêche.


Sans doute pour mieux humer les humeurs de la mer, pour guetter et lire la danse des vaguelettes et écouter murmurer le doux ressac du lagon. Sûrement, en tout cas, pour communier. Avec ceux qui, au début, ont lancé la tradition. Et communiquer avec l’esprit de la mer qui, disent les vieux, « pas ene badinaz ».

Pendant cette nuit, ce sont les hommes qui se retrouvent aux fourneaux. Armés de « pouknis » pour rallumer les braises qui font cramer et crépiter les « dekti », ils cuisinent en poussant la chansonnette. Les femmes, elles, assurent l’intendance et discutent, entre deux éclats de rire, des différentes façons de mitonner le traditionnel "bouillon blanc" de Mulet.

Affalé sur la plage, loin de l’agitation, François Meunier, 69 ans – dont 59 passés en mer ! – savoure l’instant. « Zordi ène zour spécial. Mo pensé ki mama pou gate nou ankor » dit-il, appuyant son propos d’un clin d’œil de vieux loup de mer.

Comme François, ils sont nombreux ici à avoir pris la mer vers 10 ans. Par nécessité souvent. Pour perpétuer la tradition, toujours.

A l’image de Ton Claude Spéville, incontestable vedette de la journée et de la journée à venir. Honoré et ému par le fait que sa pêcherie a été choisie pour le lancement officiel, il prendra longuement la pose devant les photographes, se racla la gorge et parlant dans un silence de cathédrale. C’est lui qui détermine où est-ce que « la senne » (les filets) sera posée le lendemain. Et ce lieu il le gardera secret jusqu’à la dernière minute. On ne pourra lui soutirer qu’une confidence : oui les Mulets seront au rendez-vous !


Samedi, 5 h 00 du matin. Retour à Camp Pintade après une courte mais agréable nuit à l’hôtel Mourouk Ebony. Il n’y a pas d’agitation à proprement parler sur la plage. Chacun connaît son rôle avec précision. Les scellés sont enlevés des filets. Les pirogues peuvent prendre la mer. Derrière le guide. Ton Claude.

Droit comme un « i » sur sa pirogue, le regard portant loin, jouant de sa « gale » de temps en temps pour tâter la profondeur du lagon, Ton Claude mène sa troupe vers la pêche promise. Quand il donne l’ordre de jeter les filets, vers 6h10, la mer est déjà presque chaude. L’astre du jour baigne le lagon d’une lumière d’une infinie tendresse.

Ce qui suit est presque militaire. Le banc de mulet est rabattu vers le centre du filet, les « gales » martèlent la surface de l’eau, ça crie, ça s’agite… des pêcheurs rompus à l’exercice posent le piège parfait. Et à mesure que se referme le filet le spectacle devient de plus en plus spectaculaire. Les Mulets, pris au piège, tournent en rond et sautent pour s’échapper des filets, qui sont maintenus au sol par les pieds des pêcheurs. Mais le piège est impitoyable. A l’arrivée, pour cette première pêche de la journée, 600 kg de Mulets seront pris dans les filets.

Sur la plage, la file de Rodriguais venus acheter le Mulet s’est considérablement allongée. Partout autour de l’île se répétera la même scène et la même ambiance bon enfant. Le Mulet, au quel les Rodriguais préfèrent la Vieille Rouge ou le Cordonnier, sera au menu de toutes les familles Rodriguaises ce soir-là. Du moins ceux qui ont pu en avoir. Ou ceux qui ont pu en acheter. À Rs 40 le demi-kilo, le premier mulet de la saison n’est pas donné.

Si la tradition est au cœur de la Fête du Poisson compote également un important volet consacré à la protection de l’environnement. Les organisateurs l’ont d’ailleurs souvenu répété lors de leurs interventions publiques. « Protéger la mer et l’environnement en général est le devoir de chaque Rodriguais. En protégeant notre environnement, nous protégerons nos traditions. C’est à ce prix-là que nous pourrons continuer à pratiquer la pêche à la senne à Rodrigues » a ainsi souligné Rosaire Perrinne, l’organisateur de la Fête du Poisson.

Les Rodriguais, fiers et responsables adhèrent à ce discours. D’autant que, ceux qui s’y connaissent le disent volontiers : le nombre de mulet pêché chaque année a tendance à baisser. Pour que la fête perdure les Rodriguais ont décidé de faire de la protection de l’environnement la priorité des priorités.

Texte et photos : www.ilemaurice-tourisme.info